Le mardi 14 mars, dans le cadre du « Bestiaire Magique », 135 élèves ont investi le Rouge-Cloître pour une journée de découverte nature et de rencontre inter-scolaire. Ils étaient âgés de 8 à 10 ans et issus de trois écoles différentes : Hamaïde (Uccle), Blés d’Or (Uccle) et Notre-Dame d’Anderlecht.
Au programme, une balade avec des guides de la Ligue Royale Belge de Protection des Oiseaux, des contes sur les animaux, des jeux évidemment et du soleil par chance. Et un atelier philo.
La première question qui leur fut posée était : « L’Humain est-il un animal ? » Et bien oui, puisque « on a des poils », « on descend du singe », « on vivait dans la nature autrefois ». Ou plutôt non, car « on n’a pas de poils », « on a des maisons », « on roule en voiture », « on fait du feu ». Ou encore, plus nuancé : « oui avant, quand on était des hommes préhistoriques, mais plus maintenant ». Les arguments, naïfs dans leur formulation, renvoient pourtant assez exactement au débat actuel sur cette très peu claire frontière entre « nature » et « culture » : usage des outils, parenté génétique, évolution de l’espèce, capacités cognitives.
L’heure est ensuite au dessin. On leur demande de mettre, sur un grand poster, les principaux « ingrédients » nécessaires pour « faire un monde » et, tant qu’à faire, d’y inscrire l’Humain à sa « juste » place. Les mots sont volontairement vagues pour éviter de trop orienter leur réflexion.
Les voici, par petits groupes inter-classes, penchés sur leurs marqueurs et leurs idées. La négociation est intense : il faut se mettre d’accord sur une vision du monde. Certaines groupes dessinent d’abord et ensuite expliquent et retouchent. D’autres raisonnent âprement devant la feuille vierge. Finalement, chaque groupe présente son travail. Le résultat, dessins et commentaires, est très parlant et mériterait une étude en soi. En voici, ci-dessous, quelques échos.
Un dessin très argumenté : « l’humain fait des hélicoptères et des bateaux, grâce auxquels il accède à des denrées (ici, les pommes) que certains animaux n’atteindront pas. Il habite dans une maison, pas dans un arbre. Et s’il domestique le cochon (en rose, entre l’homme et la femme), le cochon ne domestique pas l’humain ».« Monde » est ici synonyme de l’univers. Grosse discussion dans le groupe entre « géocentristes » (« on met la Terre au milieu! ») et héliocentristes (« non ! elle tourne autour du soleil »). L’humain occupe certes toute la Terre (et, sur l’image, il est même en route pour coloniser le soleil), mais qu’est-ce face à l’univers ?Le monde semble ici très compartimenté entre « ville » (en bas, à gauche) et « nature » (en haut, à droite). A signaler : les « Indiens d’Amérique », en bleu, dans un cercle, et l’Afrique », en haut : plus proches de la « nature » parce qu’ils « chassent, tuent et mangent des animaux ». Interrogés sur notre propre consommation de viande, les enfants cherchent confusément leurs mots : le lien entre viande et animaux n’est pas simple à exprimer.Impossible de rendre plus clairement la frontière entre « ville » et « nature » ressentie par ces jeunes Bruxellois. Ici, même le ciel est divisé.Même idée, tout aussi nette, de séparation. Dans ce monde-ci, par contre, les humains peuplent quand même la nature et l’on distingue un peu de verdure en ville.
Le monde, c’est la carte de géographie. En même temps, les « pays », c’est chez les humains. La nature, c’est forcément en dehors – ici, même en dehors de la planète.Vision très noire de l’histoire humaine : le passé, à gauche, est tout en verdure et en paix. A gauche, la forêt en flamme, « c’est le futur, c’est nous, c’est maintenant. On détruit tout. »Dans ce groupe, on a placé « l’humain partout, et les animaux partout, et la nature partout. C’est normal, c’est partout ». Pas de frontière imperméable donc.Message identique ici ; seulement, l’humain se taille la part du lion. Intéressant de noter la petite carte de géographie et la mention des singes, comme si ces derniers avaient, eux aussi, leur pays propre.C’est l’homme préhistorique, idéalisé, qui est mis en scène ici, avec un feu, une grotte et divers éléments de paysage. « Comme au début du monde ». Adam ou Lucy ? Peu importe. Le tableau baigne dans la nostalgie d’un passé perçu comme forcément plus harmonieux.Un arc-en-ciel enjambe une scène fort bétonnée de la vie quotidienne. Où est la nature ? « C’est l’arbre, là, sur le côté ». Comme à Bruxelles, elle est sagement là où on l’a plantée.Message identique ici : l’autoroute prend toute la place et les arbres semblent bien misérables.Ils étaient six dans le groupe (tout autour de la feuille), voici donc un monde partagé en six : une part pour les humains (en haut à droite), une autre pour les animaux domestiques (en bas, à gauche, derrière leur barrière) et le reste pour la nature. « Plus on va par là, plus c’est sauvage ». D’ailleurs, il y a un lion.
Quelques autres exemples de mondes « compartimentés » : à l’horizontale, à la verticale ou dans des cercles bien distincts. Nous sommes donc bien coupés de la « nature ».
Et puis la nature, c’est le jardin, c’est le paradis…
Pour finir, un clin d’oeil : la Belgique est le centre du monde…
Merci à tous les participants, à leurs enseignantes Audrey, Sarah, Najima, Line, Marie et Héloïse, ainsi qu’à l’équipe de la Ligue Royale Belge de Protection des Oiseaux : Ludovic, Ludivine, Malika et Audrey !